Écriture inclusive et accessibilité,
cessons de dire n’importe quoi
par Julie Moynat (la Lutine du Web)
Intégratrice web et consultante en accessibilité web
Conférence dans le cadre des Journées d’étude technologies et déficience visuelle,
organisées par la Fédération des Aveugles de France
Définition de l’écriture inclusive
L’écriture inclusive (ou non-sexiste ou épicène) est un ensemble de façons d’écrire (graphiques et syntaxiques) pour une représentation égalitaire des hommes et des femmes, ainsi que des personnes non-binaires dans nos textes.
But initial : ne plus invisibiliser les femmes dans et par la langue.
Au-delà de l’écriture inclusive, se pose aussi la question du parlé inclusif et donc, plus globablement de la communication inclusive.
Pourquoi communiquer inclusif ? Réparer un illogisme
La règle Le masculin l’emporte sur le féminin
et la suppression de certains noms de métiers ou fonctions datent du 17e siècle et ont été réalisées pour des raisons politiques.
« Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. »
Scipion Dupleix, Liberté de la langue françoise, 1651
« Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »
Nicolas Beauzée, Grammaire générale…, 1767
« Il faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc. »
Andry de Boisregard, Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, 1689
Pourquoi communiquer inclusif ? Des études prouvent :
- Que le masculin générique engendre des représentations mentales majoritairement masculines (il n’est donc pas neutre !) ;
- Que le masculin générique pluriel ne rend pas compte de la réalité.
Donc, par exemple :
- Pour les offres d’emploi « Développeur H/F », les femmes se sentent moins légitimes ;
- Quand on dit « les développeurs » ou « les infirmiers », on imagine plutôt un groupe d’hommes alors qu’il pourrait pourtant y avoir une majorité féminine.
Des problèmes d’accessibilité ?
De nombreuses personnes (handicapées ou non) et associations, ainsi que le Gouvernement, se sont positionnées contre l’écriture inclusive sans écouter les personnes concernées et sans savoir réellement de quoi il s’agit.
L’écriture inclusive revêt différentes formes. Une seule peut vraiment poser des problèmes d’accessibilité.
Les abréviations inclusives (point médian…) : c’est quoi ?
Mots dont la terminaison masculine est mixée avec la féminine en utilisant des caractères spéciaux (parenthèses, point, point médian, tiret, barre oblique…).
Exemples :
- les utilisateur·rices ;
- les ami·es ;
- les chercheur·euses.
Les abréviations inclusives : problèmes et conseils
Problèmes
- Difficultés de lecture (?) ;
- Lecteurs d’écran : lecture hâchée mais continue, ou entrecoupée par le nom du caractère utilisé
Exemple pour ami·e·s : « ami e s » ou « ami point médian e point médian s » ; - Pas de norme d’usage.
Conseils d’utilisation
- Limiter l’usage aux mots qui se prononcent pareil au masculin et au féminin ;
- Utiliser plutôt un point médian que deux : éviter ami·e·s, préférer ami·es ;
- Éviter totalement l’usage des abréviations.
L’écriture détaillée / décomposée
C’est quoi ?
Détail de la forme masculine et féminine d’un mot
Implique de redonner leur féminin aux noms de métiers et fonctions
Exemples :
- les auteurs et autrices ;
- des développeuses et développeurs ;
- les amies et amis.
Problème
Plus lourd à la lecture car répétitif
Conseil d’utilisation
En user avec parcimonie : quand on peut utiliser une autre technique, notamment, les mots épicènes, c’est mieux.
Les mots épicènes à genre indéfini
C’est quoi ?
Mots dont la forme ne varie pas selon le genre mais dont le genre peut être masculin ou féminin.
Exemples :
- un ou une adulte, bénévole, collègue, partenaire ;
- « un élève attentif » et « une élève attentive ».
Problèmes
Ça ne règle pas le problème des accords : à quel genre accorder ?
Exemple : les bénévoles engagés, les bénévoles engagées
Besoin d’utiliser le point médian pour les accords simples…
Les formules englobantes et mots épicènes à genre défini : c’est quoi ?
Les formules englobantes regroupent, au pluriel, les deux genres sous un même mot épicène à genre défini.
Les mots épicènes à genre défini au singulier permettent de s’abstraire de la notion genre lorsqu’on parle d’une seule personne (personne, individu, être, membre…).
Exemples de formules englobantes :
- les êtres humains ;
- les personnes malvoyantes ;
- l’équipe de développement ;
- la population française.
D’autres mots : les individus, tout le monde, la direction, le lectorat, le peuple, les gens (à priori)…
Les formules englobantes et mots épicènes à genre défini : problème
Ça ne solutionne pas tous les cas d’usage.
Exemple : pour « les utilisateurs et utilisatrices », pas de formule englobante neutre et générique qui éviterait la répétition et faciliterait les différents accords.
Dans certains cas, on pourrait dire « les internautes » mais c’est un mot épicène à genre indéfini.
Le genre neutre (et les néologismes) : c’est quoi ?
Le genre grammatical neutre permet de nommer les êtres et les choses sans en définir le genre. Il existait en latin et en grec ancien. On l’a perdu en français.
Création de nouveaux mots neutres :
- Fusion des mots dans les formes masculines et féminines ;
- Création de mots à partir de racines linguistiques existantes (ou non).
Exemples :
- iel pour « il ou elle » ;
- celleux pour « celles et/ou ceux » ;
- toustes pour « tous et toutes » ;
- adelphes pour « frères et sœurs » ;
- ou encore la fusion des abréviations inclusives : utilisateurices.
Le genre neutre (et les néologismes) : problèmes
Sujet encore en cours d’expérimentation ; il existe différentes propositions (voir bibliographie) mais pas de consensus pour le moment.
Ça viendra. La langue évolue selon les usages.
Il faudra s’y habituer ; il y aura un temps d’adaptation.
Twitter utilise déjà le pronom « iel » :
L’accord de proximité
C’est quoi ?
Une règle logique qui existait jusqu’au 17e siècle : c’est le genre du sujet le plus proche du mot à accorder qui fait l’accord.
Exemples :
- les utilisateurs et utilisatrices sont curieuses ;
- les développeurs et développeuses se sont présentées.
Problème
Aucun ; il faut juste s’y habituer.
L’accord de majorité
C’est quoi ?
Accord selon le nombre de personne d’un genre défini : s’il y a 1 homme et 1000 femmes, on accorde au féminin.
Déjà pratiqué pour les infirmières, caissières, femmes de ménage…
Problème
Pouvoir dénombrer le genre des personnes dans le groupe
Récapitulatif des différentes formes de l’écriture inclusive
- Les abréviations inclusives (ou, l’écriture au point médian) : à éviter ;
- L’écriture détaillée / décomposée ;
- Les mots épicènes à genre indéfini ;
- Les formules englobantes et mots épicènes à genre défini ;
- Le genre neutre (et les néologismes) : en construction ;
- L’accord de proximité ;
- L’accord de majorité.
Quelles solutions pour une communication inclusive et accessible ?
Des études, des méthodes, des outils et un genre neutre.
Réaliser des études sur l’écriture inclusive au regard de l’accessibilité
Pour avancer sur le sujet avec une meilleure connaissance de tous les enjeux : mener des études objectives à grande échelle sur les impacts des différentes formes d’écriture inclusive pour les personnes handicapées.
Points essentiels :
- Inquiétude sur la complexité des règles d’écriture inclusive : à priori, libérer les règles d’accord et créer un genre neutre faciliteraient plutôt la tâche ;
- Pour les gens qui semblent se préoccuper des personnes dyslexiques, alors, ne blâmez pas leur orthographe ! Ne vous servez pas des personnes handicapées pour justifier vos opinions dogmatiques. Assumez.
Reformuler pour éviter les termes genrés et l’usage du point médian
- Utiliser les différentes façons de nommer sans point médian : décomposer le masculin et le féminin, utiliser les termes épicènes et surtout les formules englobantes, utiliser les néologismes neutres ;
- Utiliser les accords logiques pour se faciliter la vie : les accords de proximité et de majorité ;
- Reformuler en contournant le genre (il faut bien maîtriser la langue…). Exemples :
- « Sur un projet où vous êtes seul·e » devient « Sur un projet en solitaire » ;
- « vous serez amené·es à apprendre » devient « vous apprendrez ».
Reformuler – Exemple de réécriture inclusive accessible
Les Conseillers municipaux·ales se réunissent pour élire les délégué·e·s de la Ville de Lyon aux élections sénatoriales. Conseil municipal du 10 juillet 2020 de la ville de Lyon
Les conseillers et conseillères municipales se réunissent pour élire les personnes déléguées de la ville de Lyon aux élections sénatoriales.
(L’Académie française criera au péril mortel…)Les conseillères et conseillers municipaux se réunissent pour élire les délégués et déléguées de la ville de Lyon aux élections sénatoriales.
(Envie de point médian ?)Le conseil municipal se réunit pour élire les mandataires de la ville de Lyon aux élections sénatoriales.
Créer des outils pour remplacer les abréviations
Des outils qui n’invisibilisent pas à nouveau les femmes dans la langue.
Exemple : l’extension de navigateur LÉIA, développée par Ann MB
Limites :
- uniquement pour le numérique ;
- difficile car pas de consensus réel sur la façon d’utiliser les abréviations.
Solution provisoire
Avancer pour un genre neutre
Sans genre neutre, le point médian restera un palliatif.
Créer un genre grammatical neutre permettrait :
- aux personnes non binaires de s’identifier dans la langue française ;
- d’éviter de mégenrer les gens dont on ne connaît pas le genre, et de catégoriser lorsque c’est inutile ;
- de neutraliser les règles d’accord pour les simplifier, les noms de métiers et fonctions, les tournures masculines qui n’ont pas de raison d’être masculines : « il y a », « lui dire », « je le suis », « c’est beau »… ;
- d’écrire et parler plus facilement, notamment dans la spontanéité.
Conclusion
- L’écriture inclusive ne se résume pas au point médian ;
- L’écriture inclusive elle-même ne pose à priori pas de problème d’accessibilité ; les abréviations inclusives, oui : évitez de les utiliser ;
- On évolue déjà vers une communication inclusive aussi bien écrite que parlée et c’est une bonne chose ;
- Personne ne pourra bannir l’écriture inclusive mais on peut avancer sereinement vers des solutions qui conviennent à tout le monde.
Pour finir sur une note positive, un exemple d’avancée majeure : la communauté WordPress francophone a récemment modifié ses traductions pour que l’administration soit désormais inclusive (sans point médian).
Bibliographie / sitographie
- « Nous n’enseignerons plus que "le masculin l’emporte sur le féminin" », Slate.fr – 7 novembre 2017
- « Mme le Président » : l’Académie persiste et signe… mollement, Eliane Viennot, 23 octobre 2014
- Pour un langage non sexiste : des mots controversés, Eliane Viennot
- Non, les féministes ne mettent pas en péril la langue française : Éliane Viennot rétablit la vérité sur le langage inclusif, paulinepauline, 4 février 2019
- Livre : « Tirons la langue, plaidoyer contre le sexisme dans la langue française », Davy Borde – Utopia Editions, 1er avril 2016 (contient des propositions sur le genre neutre)
- Nommer, c’est exister : Alpheratz et le troisième genre, paulinepauline, 15 avril 2019
- Un genre neutre pour la langue française, Alpheratz, 2018
- Règles de grammaire neutre et inclusive, Divergenres
- Manuel de l’écriture inclusive de l’agence Mots clés, dirigé par Raphaël Haddad, juin 2019
- À propos des études sur l’écriture inclusive : Écriture inclusive : un premier bilan de la controverse, Christophe Benzitoun, Anne Catherine Simon, Pascal Gygax – The Conversation, 11 octobre 2020
- Écriture inclusive et dyslexie : l’avis de la FFDys, FFDYS, 17 août 2020
Merci !
- Diaporama : conferences.lalutineduweb.fr/2020-jetdv/
- Transcription de la table ronde dans laquelle s’inscrit cette conférence
- Vidéo de la table ronde
- Mon article de 2019 : lalutineduweb.fr/ecriture-inclusive-accessibilite-solutions/
Des questions, envie d’échanger sur le sujet : @juliemoynat
Crédits
- Diaporama Accesslide
- Police d’écriture Luciole